Parmi les milliers d’albums de Progressif publiés chaque années, nous aimerions vous suggérer « D’après Le Horla de Maupassant » du groupe Québécois The Box, aux atmosphères obscures et fascinantes. Egalement nous a intrigué aussi l’histoire de ce groupe, assez connu dans les années ’80, qui a quitté le vieux style commercial pour le Rock Progressif. Jean-Marc Pisapia, chanteur et leader historique du groupe, nous a entretenus de cette belle interview. Bonne lecture.
L'histoire de votre groupe est assez curieuse: au début, vous étiez un groupe pop avec un certain succès, mais quand The Box est retourné sur scène tu as choisi de faire de la musique d'un autre genre, absolument pas commercial d'ailleurs. Pourquoi?
De mon point de vue, il n'était pas question de revenir sur scène 10 ans plus tard avec encore la même salade! Nous avons dit ce que nous avions à dire dans le format pop et avons connu énormément de succès avec cette formule. Mais il était temps de passer à autre chose et j'ai décidé de laisser libre cours à certain phantasmes musicaux que j'avais en tête depuis les années '78 et '79 (comme faire une version du Horla de Maupassant par exemple...) mais que les conditions de l'époque ne permettaient plus avec la mort du genre progressif et la naissance du "New Wave". Ceci dit, il est vrai qu'il est très difficile de connaître un succès commercial avec le Prog. Mais aujourd'hui, il est difficile de connaître le succès avec n'importe quel genre de musique vue l'immense concurrence que le Web a rendue omniprésente, quelque soit le style musical. Je me suis donc offert le luxe de faire ce que je voulais accomplir depuis mes premières années, sans compromis d'aucune nature que ce soit, même commerciale.
Quelles ont été vos principales sources d'inspiration en ce qui concerne le rock progressif?
Je ressens bien sûr beaucoup de la musique de Pink Floyd, mais aussi plusieurs similitudes avec le progressif français ou québécois. Qu’est ce que tu connais de ces scènes-là?
Trop souvent, la musique progressive est compliquée dans le seul but d'être compliquée, vous ne trouvez pas? Ce que j'ai toujours aimé de Pink Floyd, c'est que leur musique est très efficace, très suggestive et imagée tout en restant fort simple. En cela, on peut dire que Pink Floyd a été d'une grande influence sur nous. Harmonium, un groupe québécois des années '70, m'a également beaucoup servi de repère. Mais à part pour les géants de l'époque comme Genesis, Yes Jethro Tull et autres, je dois avouer ne pas être un fin connaisseur du genre. Je n'avais jamais entendu parler de Hatfield And The North par exemple, avant de les voir au Baja Prog à Mexicali en 2006. Même chose pour la scène canadienne et française. J'en connais les grandes lignes, sans plus. Mais j'adore Premiata Forneria Marconi depuis toujours par contre!!!
Pourquoi avez-vous décidé de garder l'ancien nom, même si on a changé presque complètement le genre et la formation?
Pour moi, un groupe est une entité vivante; certains membres se joignent, d'autres quittent. Ces changements affectent la musique (pas toujours favorablement d'ailleurs... ) mais le plus important est que rien n'est permanent. Et c'est tant mieux comme ça. Le fait que je sois le fondateur et le seul survivant de la formation originale n'enlève rien à la contribution de tous ceux qui ont transité par The Box au cours des années. Luc Papineau et Éric Théocharides (les deux autres fondateurs) sont revenus participer au Horla après presque 20 ans d'absence au sein du groupe! Autre exemple, nous avons deux bassistes, Daniel et Éric (un autre Éric...) et les deux s'échangent le poste sans aucun problème. Notre plus récente addition est Guillaume, un claviériste de 27 ans qui est avec nous depuis 2008 et je souhaite qu'il ne nous quitte plus jamais!
Comment as-tu choisi les musiciens de ton nouveau projet et quelle est leur contribution à la musique?
Curieusement, je n'ai choisi personne dans le sens où c'est plutôt au hasard des nombreuses collaborations passées dans le cadre de plein d'autres projets que j'ai rencontré les membres actuels à commencer par François, notre guitariste, en 1994. Ceci dit, notre méthode d'enregistrement du dernier album (et du prochain) n'a rien de bien orthodoxe: Je commence par écrire les grandes lignes de la musique et les textes. Je pars ensuite avec mon laptop chez les différents musiciens et je me branche dans leurs studios (tout le monde a un petit studio de qualité professionnelle à la maison...) et on enregistre chacun son instrument "live", sur place. Nous ne sommes donc jamais 5 ou 6 musiciens en même temps dans un grand studio en train de discuter tout le temps et gaspiller beaucoup d'argent comme on le faisait avant. Les choses se font rapidement, économiquement et surtout, dans la cordialité la plus totale! Quelle joie! Chacun prend le temps d'apporter son grain de sel à ce que j'ai déjà composé et on n'est jamais plus que deux à décider de ce qui fonctionne le mieux et finira sur le CD.
Combien ta première expérience avec The Box a-t-elle été en quelque sorte importante pour développer votre nouveau son? Comment juges-tu les premiers albums aujourd’hui à la lumière de tes nouvelles expériences musicales?
Extrêmement importante. Dans ce métier, l'expérience, c'est tout! Et les mauvaises expériences comptent encore plus que les bonnes parce qu'elles font mal et on s'en souvient plus longtemps! Je manque sans doute de l'objectivité nécessaire à m'en rendre compte pleinement mais beaucoup des fans de The Box prétendent que toute les influences progressives du band étaient déjà présentes dans les deux premiers albums (moins les 3ème et 4ème), et que les deux plus récents CDs ne sont que la suite logique de ce que The Box a toujours fait, c'est à dire de conter une histoire par le biais de la musique, quelque soit le genre. Déjà en 1984, nous écrivions une chanson intitulée «L'Affaire Dumoutier» (Youtube) qui racontait le cas de double personnalité du jeune meurtrier d'Élisabeth Dumoutier, une histoire fictive qui a néanmoins fait un tabac au Canada pendant des années et qu'on nous demande sans cesse encore aujourd'hui. Avec le recul, les premiers albums laissaient un peu (beaucoup) à désirer du point de vue du son et du chant mais somme toute, l'originalité était bien là et en fin de compte, c'est ça qui comptait à l'époque, contrairement à aujourd'hui où c'est malheureusement la conformité qui fait loi.
Dans le dernier morceau du «Horla» tu racontes comment tu as découvert la nouvelle de Maupassant qui t'a inspiré l'album. Qu’est ce que ce qui t’a fasciné dans cette histoire au point d'en garder le souvenir pendant de si nombreuses années et d'enfin la mettre en musique?
Quand on connaît bien Maupassant, on s'aperçoit qu'il jongle avec un paradoxe tout au long de son oeuvre: d'une part, il est fasciné par la force du caractère humain et d'autre part, il est exaspéré par la bêtise des masses. Le Horla ne fait pas exception à cette contradiction mais ce n'est qu'après l'avoir relu, de préférence à côté d'autres nouvelles de G.de M. qu'on se rend compte de ce second niveau d'interprétation que lui a prêté l'auteur. C'est cet aspect là, combiné à l'imagerie science fiction / horreur de la nouvelle qui m'a convaincu de m'en servir de véhicule pour un album «concept» 100% prog.
Quelle a été la réaction des médias, étant donnée votre célébrité passée?
Exactement la réaction escomptée! Les médias en ont beaucoup parlé, d'autant qu'ils étaient bien surpris de voir un groupe connu pour son côté pop revenir avec une commande aussi audacieuse. La critique a été extrêmement favorable sauf exception.
J’ai vu qu’en concert vous proposez, en plus du nouveau matériel, une bonne partie même des succès de la première période. Comment faites-vous faire coexister deux genres de musique si différents? Et comment le public, habitué au style du début, a-t-il répondu face au genre de musique moins facile des deux derniers albums?
Nous profitons de ce qu'on appelle en anglais leur "attention span" et nous divisons le show en deux. Nous commençons d'emblée par le matériel récent leur demandant plus de concentration et je prends la peine de leur dire que nous réservons tous les vieux hits pour la deuxième moitié du spectacle. Ils savent donc à quoi s'attendre et quand les succès des années '80 arrivent, la fête commence et il n'est plus question de retourner dans les ambiances plus ténébreuses du Horla! Tout le monde est debout sur sa chaise et ça ne lâche pas jusqu'à la fin. Le commentaire est toujours le même à la sortie du show: les gens prétendent avoir eu le meilleur des deux mondes.
Je trouve que dans votre dernier album, la musique est entièrement au service de l'histoire contée. Le risque des albums conceptuels c'est que parfois les mots soient prédominants sur la musique. Pour toi est ce qu’il a été difficile de trouver un équilibre? Quelles difficultés as tu eu à recréer les ambiances du livre?
J'ai passé de 1993 à 2009 à écrire de la musique pour des spots publicitaires TV de 30 secondes. Voitures, bières, services bancaires, McDonald's, Shell, Air Canada... J'ai donc beaucoup d'expérience à mettre la musique au service de l'histoire, si courte soit elle. (www.interpolmusicforvisuals.com À part pour "Ti Amo" qu'on m'a demandé de copier, les autres musiques du démo sont de moi!) Ça a donc été très facile pour moi d'adapter le Horla. Pour ce qui est de la balance entre la musique et le texte, je n'y ai même pas fait attention. Je suis allé à l'instinct. C'est plutôt de balancer les passages sombres avec des moments plus légers qui m'a demandé de l'attention pour ne pas finir avec un album carrément déprimant d'un bout à l'autre!
Pourquoi as-tu décidé pour la première fois dans l'histoire de The Box de composer un album entier en français plutôt qu'en anglais?
Tout simplement parceque Maupassant est un auteur Français. Si j'avais choisi Dante à la place, je l'aurais fait en Italien!
Avez-vous déjà des idées pour le nouvel album? Est ce que vous pouvez nous donner un aperçu?
Absolument: le prochain projet est une adaptation du Petit Prince de St Exupery. 100% progressif aussi mais avec deux différences:
1) L'album sera en deux versions: une toute française et une autre toute anglaise.
2) Il y aura 3 "singles" adaptés de certaines chansons de l'album et destinés à la radio en format pop. Comme ça, on joue sur deux tableaux, l'un n'excluant pas l'autre.
Quels sont tes plus beaux souvenirs de l'Italie?
Par où commencer? J'ai passé les plus beaux moments de ma vie entière en Italie entre l'âge de 6 et 17 ans, quand nous allions passer les vacances à Gaeta entre Rome et Naples, au bord de la mer. «Super 61» raconte justement que j'avais le Horla comme lecture de poche dans l'avion qui m'emmenait en Italie, un DC-8 series Super 61 de la Canadian Pacific. J'avais 13 ans et je voyageais seul pour la première fois, passer trois mois chez un oncle à Terracina.
Quel magnifique pays vous avez!!
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